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Université rurale La force des mots 

« On entend couramment que le monde est fait d’images et de fait la production et la diffusion d’images s’est amplifiée au 20ème siècle. Le cinéma, l’audiovisuel, les smartphones. En même, chaque personne est au milieu d’un vacarme de conversations digitales. Qu’est-ce qu’on entend ? Au cœur de la ruralité, des petites voix se frayent des chemins, des récits de femmes, des biographies, des lettres écrites, des récits par des écrivains publics, les podcasts se multiplient. Dans lesquels les mots se posent tranquille et prennent leur temps.  Les librairies ont connu un grand succès pendant la crise sanitaire. Le retour à soi d’abord contraint est redevenu essentiel. Et donc les mots, le langage, le dialogue va reprendre. Comment le reprendre ? Comment est-ce que les mots agissent ? Comment est-ce qu’ils nous réconfortent ou nous font du mal ? Avec nos expériences personnelles tout simplement sans connaissances particulière si ce n’est issues de nos vies et de nos relations, de nos lectures, de nos ressentis. Ce temps de rencontre et de débats explore la force des mots. »

Pour y réfléchir, nous nous sommes entourées de deux personnes d’horizons différents :

- Annie Fournel, enseignante, animatrice d’atelier d’écriture qui va nous décrire ce qu’elle a vécu à travers l’atelier d’écriture à "la Marmite" sur cette force des mots comme elle l’a vécue surtout pendant la période du confinement, 

- Blandine Bruyère qui est Docteur en psychologie et psychopathologie clinique, chercheur associée à l’Université de Lyon, spécialiste des problématiques migratoires et des violences collectives.

Nos Intervenantes s'expriment

Annie Fournel :


Je vais parler de mon expérience des ateliers d’écriture, sachant que je suis venue aux mots par l’écriture parce que j’avais été une enfant qui avait du mal à écrire. Je ne parle pas du sens du texte mais qui avait du mal à former les mots au niveau de la graphie, j’avais des troubles dys- : dyslexie, dyspraxie, dysorthographie et à mon époque, on traduisait simplement par « recommence » !  Je commençais comme tout le monde à la rentrée par des cahiers de 96 pages et à la toussaint, ma mère repassant par-là, je n’en avais plus que 40 parce qu’elle arrachait les pages mal écrites et je recommençais. Honnêtement, c’était fait avec une certaine bienveillance. Je n’étais pas Causette, ce n’était pas Thénardier ma maman. Et finalement, ça a marché d’une certaine façon. Tout cela pour vous dire que les mots, je les ai découverts par la lecture. Et je n’hésite pas à le dire : certains livres m’ont sauvé la vie ! J’ai une admiration particulière pour un auteur français. Certains disent : « tu n’as pas le moral, prend un petit prozac », moi je dis « T’as pas le moral, prend un petit Pennac. » Et, en général, ça marche !

Je suis donc venue aux mots par la lecture et l’atelier d’écriture, ça s’est fait parce que j’ai eu des occasions de participer à des ateliers, des choses simples qui m’ont plu. A "la Marmite", ils sont un peu joueurs et inconscients et j’ai proposé de faire un atelier d’écriture, et « youpi, youpi j’en avais jamais fait », ça s’est bien passé. On a commencé, on était 3, aujourd’hui nous avons 18 inscrits et 15 personnes régulièrement. Les gens sont plutôt contents, ils reviennent.

De ces ateliers qui sont sans prétention, je n’ai jamais pensé qu’il en sortirait le prochain prix Goncourt. Je n’ai pas de gens qui sont venus en me disant « Moi, je veux être écrivain ! » Et je ne suis pas sûre d’être compétente pour préparer à ça.

Les ateliers d’écriture donnent la possibilité de dire des choses par écrit qu’ils ne diront pas autrement parce que l’écrit est relativement peu utilisé même si nous sommes envahis de mots. Mis à part les gens qui se sont lancés dans la création d’un blog ou autre, on utilise peu l’écrit. On l’utilise pour des raisons administratives ou on communique par sms, mais le sms est fait pour transmettre une information. On va peu s’épancher dans le sms. L’atelier d’écriture permet de dire ce qu’on n’a pas dit, ce qu’on n’a jamais dit. Alors, les premières années, on a beaucoup travaillé sur l’humour. On peut faire passer beaucoup de choses sans les dire. Par un certain humour, on peut dire des choses qu’on ne pourrait dire autrement.

L’atelier d’écriture peut permettre cela. C’est un temps court. On a 15 minutes pour écrire, c’est un temps de total liberté. Parce que tout le monde a le droit de ne pas écrire. L’exercice proposé ne vous convient pas, vous ne le faites pas, et personne ne se sent obligé.  Et je crois, pour que les mots soient dits réellement et fortement, pour qu’ils soient lus, il ne faut pas qu’il y ait de jugement. Et même s’ils ne sont pas lus, qu’il n’y ait pas de barrières, pas d’obligations, de règles. Un atelier d’écriture, ce n’est pas un cours d’orthographe. Ce n’est pas l’école même si moi j’ai fait l’école pendant 30 ans. On ne va pas obligatoirement se pencher sur les règles de grammaire. Quand il y a une demande j’y réponds, mais cela s’arrête là. Je ne vois pas les fautes d’orthographe car ce sont les participants qui lisent leurs textes, je ne vois pas le texte qu’ils ont écrit. Mais ce n’est pas l’objectif. L’objectif c’est de dire ce qu’on a à dire, avec une contrainte imposée qui permet parfois de réguler les choses, sur un sujet donné avec humour ou gravité.

Après l’atelier qui regroupe des gens de différents univers, les écrivain.es du jour repartent chez eux un peu plus légers. Pas obligatoirement parce qu’ils ont raconté le drame de leur vie, le bonheur de leur vie. Je ne suis pas psychanalyste, allongez-vous, je vais tout vous expliquer. Mais simplement dire un petit peu de soi, de ce qu’on avait envie ou d’autre chose pour se vider la tête, cela fait du bien. C’est en cela qu’il y a un certain pouvoir des mots. Autant, je suis assez passionnée par les mots, même si je ne suis pas littéraire au point de chercher l’étymologie, autant j’aime bien chercher un mot qui est à sa bonne place. Pas celui qui est le plus littéraire mais celui qu’il fallait utiliser à cet endroit-là.

Il faut faire attention à ce qu’on dit et ce qu’on fait dans le cadre des ateliers d’écriture. J’essaie d’être attentive aux gens qui ne seraient pas à l’aise. Il ne faut pas que les gens repartent avec l’idée, qu’eux les mots, ils ne savent pas faire. Ce n’est pas vrai. Tout le monde à son niveau peut le faire. Du moment que vous savez faire une liste de courses, vous savez écrire. Après les mots précis viendront. Mais il ne faut pas se mettre trop de barrières.

Il faut faire attention au cyberharcèlement qui passe par des sms malveillants, les réseaux sociaux, donc de l’écrit instantané en ligne. Le problème de l’écrit, c’est qu’il reste, on l’a sous les yeux. Les mots, c’est l’une de meilleures façons de communiquer de l’être humain. Cela nous différencie certes des autres mammifères. Il faut se réjouir d’avoir cet outil que sont les mots mais faire très attention à ce que l’on fait.

Blandine Bruyère :
 

Mon idée est de parler de ce qu’on ne peut pas dire parce que le vocabulaire n’existe pas. Mais on risque de plomber les choses, des choses qui frisent l’horreur et parfois le mot « horreur » n’est pas suffisant. La question des mots est intéressante parce qu’elle touche à la question de l’intime. La façon dont on parle à l’autre est une façon de se raconter soi. Les mots qu’on utilise sont ceux qui sont le plus proche de sa pensée. On a inventé le langage, l’alphabet pour combler les trous et les manques. Les manques de lien entre soi et les autres.
 

Je vais vous raconter deux anecdotes différentes :
 

J’ai eu l’occasion de visiter Babylone, il y a deux ans de cela. Qui était le chef-lieu de la Mésopotamie antique. Mais qui était le lieu de la tour de Babel, juste à côté. Tour qui a été détruite suite à l’envoi de langues diverses pour que les gens ne se comprennent plus. Si on ne peut plus se parler, on ne s’écoute plus, on ne se comprend plus. Et pendant que je visitais Babylone, je travaillais avec des collègues psy qui étaient d’origine grecque et d’origine syrienne. Et lors de longs débats, on se demandait : « Qui a inventé le premier alphabet et qui a inventé l’écriture ? » la Grèce antique ou la Mésopotamie, le Sumérien ? On n’a toujours pas résolu le débat.
 

La deuxième anecdote se résume par la phrase de K Yassine « La langue française, c’est notre butin de guerre » à la fin de la guerre d’Algérie. Le fait qu’ils aient été obligés de maitriser le langage du colon. On a appris comment ils pensaient, ils raisonnaient, comment ils relationnaient avec le monde. Et cela a fait leur force pour résister à la colonisation. Cela dit que si on veut lutter à armes égales, il faut pouvoir écouter l’autre.

Alors que faire dans des situations où on n’a plus les mots ? On ressent des choses, on élabore une pensée et cette pensée, on essaie de la traduire en mots. Autant d’étapes avec des écarts. Et ce qu’on va dire peut-être très différent de l’éprouvé initial. Toutes ces étapes sont très proches des étapes de traduction. On traduit un affect brut en pensée et on traduit cet affect brut en mot. Autant d’affects, autant de pensées, autant de traductions possibles. Si on revient à l’étymologie du mot traduire, traduire c’est trahir. Dans le fait de traduire, on introduit encore un écart. Imaginez donc quand il s’agit de passer d’une langue à une autre. Si on se souvient de ce que disait Angela tout à l’heure. Est-ce qu’elle parle un français suffisant pour parler de la guerre ? Est-ce que c’est qu’une question d’avoir les mots en français ou est-ce que parler de la guerre, cela fait partie des choses qui ne sont pas nommables ?

De la même façon, la violence concernant le genre, le viol, c’est une attaque, de la destruction. Comment on dit que cela nous atteint, comment expliquer qu’une situation nous blesse, nous transforme, nous atteint.  On n’a pas toujours les mots. Comment est-ce qu’on communique ?

Dans la bien-pensance, savoir communiquer, c’est déjà savoir écouter, et pas la communication positive très à la mode. Est-ce qu’on écoute seulement des mots ou des corps, des attitudes, des regards et est-ce qu’on écoute la poésie du langage de l’autre ?

Pourquoi je parle de la poésie ? Parce qu’au Moyen Orient, la poésie, c’est le moyen de transformer quelque chose.  Et que dans un certain nombre de situations dramatiques que des réfugiés syriens ont pu vivre, la poésie reste quelque chose qu’on utilise pour pouvoir parler. Avec toute la métaphore que cela suppose sinon ce n’est plus de la poésie. Comment les mots permettent-ils de déposer quelque part, sur une feuille, une part de cet intime indicible ? Je suis intéressé de voir dans ces contextes comment cela s’exprime. Qu’est-ce que la langue permet ? Et c’est intéressant aussi de voir comment les langues se composent.

Avec Chamoiseau et les créoles, on a beaucoup parlé de la créolisation de la langue. Cela nous raconte comment on est déculturé d’abord, acculturé ensuite, et qu’on doit recomposer un langage pour tenter de faire sens. Et de donner du sens au monde qui nous entoure. On retrouve la créolisation partout dans le monde. Quand, nous en France, on parle d’« Empowerment » pour parler de soutenir les femmes au développement, on est dans la créolisation parce qu’on a des mots français. On n’entend pas beaucoup ce mot mais cela va venir. On a aussi l’exemple simple quand on parle de « mail » et non de courriel. Il y a des endroits où cette question est plus marquée. Comment la rencontre entre les cultures qui est à la fois créatrice de mots et à la fois réductrice de pensée. Je prends l’exemple du Sangho, qui est la langue nationale du Centrafrique. Le Sangho s’est composée à partir de la rencontre de 60 groupes ethniques qui ont fui l’esclavage de l’Afrique de l’Ouest et centrale, jusqu’à trouver cette savane verte peu arborée. Devant cohabiter, ils ont dû créer un langage commun d’où est né le Sangho. Cette langue ne comporte qu’une soixantaine de mots au quotidien. Il y a un peu plus de mots dans notre dictionnaire…. Si on avait que 60 mots, on déborderait de créativité pour faire de la nuance.

Tout cela pour rappeler que la question de la langue est unificatrice aussi. Ce qui fait Etat, Nation, c’est aussi une langue commune qui institue le vivre-ensemble. Et que les endroits où ça marche moins bien (à part la Suisse qui a un statut particulier) comme en Belgique, la question des flamands et des wallons a été très compliquée pour partager le pouvoir. Quand on regarde à travers le monde, s’il n’y a pas une langue qui institue la nation, il y a des replis identitaires comme si la différence était insurmontable, radicale, comme si les mots ne suffisaient plus à lier avec les autres. On parle des Ukrainiens et des Russes, ce sont des langues slaves comme le français, l’italien, l’espagnol sont des langues latines. On est dans des langues différentes, mais avec un peu d’effort on arrive à saisir quelque chose. Quelque chose d’intuitif du côté des sonorités, de la musicalité de la langue et s’en saisir. Quand on est dans une langue salve, on est dans une familiarité qui peut se parler. Quand on vient à radicaliser ces différences qui se ferment, on en vient à la guerre. Quand on n’a plus les mots…arrive la violence. C’est ça à l’échelle de l’humanité et à l’échelle du couple. Quand on se tape dessus, c’est qu’on a plus les mots.

En espérant que cela ouvre la discussion.

Audio de l'après-midi
Urb , intervention la force des mots Annie Fournel et (1)
00:00 / 29:07
Urb force des mots échange avec la salle_1
00:00 / 37:20
intervetions Annie et Blandine
Audio

Questions et débat avec la salle 

Annie Fournel : Petite anecdote. J’ai une amie slovaque qui ne parle pas français et je ne parle pas le slovaque et on a toujours une joie énorme à se rencontrer, à s’embrasser. Elle me dit des choses en slovaque, je lui réponds en français, ça n’a peut-être aucun sens mais cela nous rend très heureuse toutes les deux. Les mots ont peut-être leur limite mais c’est la seule chose qu’on a pour dire aux autres qu’on les aime. 

- On a souhaité parler des mots qui permettaient d’enfermer la colère, l’émotion forte. Des mots libérateurs qui permettent d’ouvrir.

Il y a le fait de peser ses mots, quelle force on met derrière ces mots, trouver les bons mots, faire attention à ce qui est dit. Il n’y a pas que les mots, il y aussi la manière de le dire, l’intention, l’intonation, la sonorité. Un ton condescendant, une manière de dire méprisante. Un mot peut ne pas être méchant, mais la manière dont le dit peut-être mal reçue. On a assisté à un atelier avec les enfants où les seuls mots utilisés étaient « oui ou non », et la manière dont on le disait changeait tout. Que ce soit crier, chuchoter ou le ton.

On a parlé de créer un espace privilégié pour le mot, comme le bâton de parole pour canaliser les échanges, de créer un cadre d’écoute pour que le mot soit bien perçu. Les mots peuvent être des outils de manipulation, de perversité et un côté très impudique des mots avec une injonction à parler, de se mettre en avant, de dénaturer le mot pour se faire exister. Dans les mots, il y a la question du récepteur, si on ne l’a pas en face de nous, le sens des mots peut nous échapper. Et concernant l’idée que la violence arrive quand les mots ne sont plus là. Même quand on a les mots, ils ne suffisent pas à canaliser la violence. Il y a le contre-exemple de quelqu’un qui utilise les mots pour faire mal. Parce qu’on sait utiliser les mots, toucher là où cela fait mal.

 

- Pour communiquer, il faut utiliser les bons mots pour être compris et il faut écouter pour mieux comprendre l’autre.

Le père d’Henri lui a dit « Si tu arrives quelque part, si tu ne connais pas les gens, écoute et tu parleras, tu agiras après !» .

 

- On a retenu le thème de l’émotion.

Quand les mots ne sont plus là pour dire l’émotion, comment ne pas surinterpréter ? Est-ce que les mots sont plus puissants que l’émotion ? Comment les mots peuvent se passer d’émotions ? L’exemple d’Angela dont on ne comprenait pas tous les mots mais qui pleurait. On a ressenti une émotion très forte de la voir dans l’émotion. Et comment faire pour que ces émotions puissent garder une certaine objectivité quand les mots ne suffisent plus ?

 

 - On a retenu 3 thématiques :

Les mots qui font du mal mais il y a aussi des mots qui font du bien. Des mots qui font du mal qui sont très visibles au niveau du cyberharcèlement qui nous appelle à la prudence et à l’éducation. Les mots qui font du bien, tout ce qu’on arrive à ses parents, conjoints et faire attention à la force des mots. C’est très différent de dire à un enfant « tu es un voleur » et « tu as volé ».
 

La pauvreté et la richesse de la langue. On a été interpellé par les 60 mots du Sangho. Comment sont-ils arrivé à une langue riche avec 60 mots.

C’est parfois compliqué d’être compris quand on prend la parole en public, même en famille, notamment avec les jeunes.
 

Exemple de la force, avec un entretien d’embauche pour un poste de clerc de notaire. L’entretien se déroulait bien. A un moment, le recruteur a prononcé le mot « velléité », elle ne connaissait pas ce mot et son entretien a été raté. Elle n’a pas été recrutée. La compréhension des mots est importante.
 

Les mots dits et écrits, les deux sont très différents. On dit plus facilement quelque chose de soi par écrit. Le mot écrit donne du temps et permet de réfléchir. Parfois, les mots dépassent la pensée et sortent tout seul.

-  Traduire, c’est trahir.

 

Traduire ses sentiments, est-ce les trahir ? Tant que l’on n’est pas rentré dans le moule du pays étranger, on traduit mal. Comprendre ce concept, c’est déjà donner une nuance. Il y a une communication non-verbale importante. Il y a l’exemple du coup de foudre, une compréhension intuitive entre personnes. Comment mieux vivre ensemble ?

Réponse de Blandine Bruyère :

Il y a des choses transversales. L’écriture, écart entre ce qu’on dit et ce qu’on écrit. Il y a une fonction de dépôt de l’écriture. Comme un journal intime ou les réseaux, c’est déposer quelque chose de soi. C’est comme si c’était extérieur, et plus besoin de revenir dessus. C’est la possibilité de dire, là il y a quelque chose de compliqué, je le pose et je verrais bien ce que j’en fais plus tard.

Parfois, dans l’écriture on adresse son écrit à quelqu’un et parfois on écrit pour soi. On dépose pour soi sans intention de donner à lire. L’adresse soutient le mode d’écriture, exemple écriture journalistique, littéraire. On écrit différemment quand on écrit à un copain ou à un amoureux. Cela amène à l’utilisation des mots, leur perversion, notamment la propagande, le langage est instrumentalisé. Exemple, la guerre des mots Ukraine/Russie. Qu’est-ce qu’on va croire dans les mots de l’autre ? Tordre les mots pour jouer sur la peur. La peur du COVID puis la peur de la guerre. Quelle sera la prochaine peur ? La peur économique, la peur de la famine ? Comment intérioriser cette peur des mots ? Ce discours de la peur fait qu’on donne le pouvoir à un (exemple, si une personne souhaite qu’on mette un masque, tous le porte) alors que cela n’a rien de démocratique (qui est la loi de la majorité).

 

Un autre point, parfois les mots qui sont censés faire du bien font du mal.
 

Dire à quelqu’un qui ne va pas bien « t’inquiètes pas, ça va aller », cela marche assez rarement. C’est ce qu’on dit quand on veut se débarrasser du problème. Quels sont les mots qui sont entendables ? Comment recevoir les mots de l’autre ? Quel est mon rapport à ces mots-là ? Est-ce que je me sens blessé ? Qu’est-ce que cela vient toucher ? Exemple qui montre que le langage est très culturel. Une amie algérienne qui me disait « je vais t’emmener voir des choses extraordinaires ! ». Je lui ai mon montré mon œil, au sens où on l’entend nous « tu exagères, tu ne le feras pas », en retour elle me regarde, très en colère. Pourquoi a-t-elle réagi comme cela ? Elle me répond : « Tu me menaces ! ». Ce geste en Algérie, « je t’ai à l’œil, une erreur de plus et je te tue » La gestuelle qui accompagne les mots est culturel.

Comment fait-on pour se comprendre ?

Les mots jouent et comment fait-on quand on en a peu pour se faire comprendre (notamment une langue étrangère) et saisir le sens profond ? Comment notre étrangeté peut nous faire nous rencontrer ? Qu’est-ce qui fait qu’on se rencontre au-delà des mots ? On se rencontre avant tout parce que nous sommes des êtres humains.
 

On n’arrive pas à se rencontrer si on s’accroche à des identités secondaires.
 

Exemple, dire je suis blanche plutôt que de dire « je suis une femme », blanche c’est secondaire. Ce qui fait que je peux communiquer avec n’importe quelle femme à travers le monde, c’est le fait d’être une femme. Ce qui fait que je vais pouvoir communiquer avec n’importe quel enfant dans le monde, c’est que je me souviens de ce que c’est que d’être un enfant. C’est qui fait que je peux communiquer avec un homme, c’est que j’ai une petite idée de ce que c’est que d’être un homme même si je n’en suis pas un. La société attend d’eux certaines attitudes même s’ils auraient parfois envie de faire autre chose, comme écrire des poèmes. Mais cela peut être mal vu socialement, cela peut donner des conflits entre ce qu’on voudrait et ce qu’on peut.

Comment trouver des espaces de créativité au-delà des mots pour faire exister des choses ? 
 

Le monde ira mal tant qu’on restera sur le « narcissisme des petites différences » , mettre en avant nos petites différences plutôt que de regarder ce qu’on a de commun. Comment est-on conscient de soi ? Qu’on soit lettré ou non. Moi ? je sais lire et écrire mais quand je suis à l’étranger, que je ne connais pas l’alphabet d’un pays, je suis complètement illettrée. Et quand je suis illettrée, cela change complètement mon rapport au monde. J’ai fait l’expérience avec l’Amharique en Ethiopie, une langue couchitique, je connaissais les langues indo-européennes, slaves, sémitiques. C’est la langue des chrétiens orthodoxes d’Ethiopie, qui remonte à la reine de Saba. Rien ne permet de se raccrocher à cette langue. L’étrangeté est totale si on s’arrête là. Si on s’adresse à l’humaine, on se rencontre. C’est intuitif, indéfinissable.

 

Les mots qui font du bien, ce sont les mots justes quand on est présent pour les autres.
 

Une langue définit quelque chose, c’est un moyen d’échanger. Dernière anecdote, je travaillais avec des collègues anglophones, donc on a proposé de parler anglais. Les Français sont super chiants, parce que les Français dès que vous êtes en face d’un étranger qui parle français, vous passez votre temps à le corriger. Alors que l’essentiel est de se comprendre. Inviter à comprendre les mots de l’autre sans forcément les prendre pour soi parce qu’ils ne me sont pas toujours adressés.

Questions et débat
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